Petite histoire du brillant

L’art lapidaire se développe en Occident entre les mains d’artisans habiles qui cherchent les interactions entre la matière et la lumière. Des diamants "noirs" du Moyen-Âge aux reconstitutions virtuelles du XXe, voyons comment se travaille le brillant.

Préhistoire de la taille

On estime que les premiers diamants ont été extraits il y a 3 000 ans en Inde. Dans l’Antiquité, les hommes leurs attribuent des vertus magiques et curatives, et on craint d’altérer leur pouvoir en les taillant. En Asie, on commence à utiliser les diamants pour percer des pierres moins dures comme le saphir, le rubis ou l’agate. L’art de la taille se développe en Europe à partir du Moyen-Age, notamment à Paris où de nombreux "moulins à diamants" permettent d'"égriser" les gemmes pour créer des facettes simples après une lente abrasion. Enviée et redoutée, la responsabilité du "joaillier ordinaire du Roi" est à la hauteur des gemmes onéreuses qui lui sont confiées.

L’art des lapidaires

Anne de Bretagne

Représentation d'Anne de Bretagne par Jean Bourdichon, détail d'une miniature des Grandes Heures d'Anne de Bretagne, vers 1503-1508

C0 Gallica - BnF - Bibliothèque nationale de France

Le carcan d’Anne de Bretagne est souvent cité comme un curieux monument de l’art lapidaire de son temps. Il figure dans le fonds historique des Joyaux de la Couronne constitué par François 1er en 1530.

Ce collier, serti de 11 diamants et de 14 perles rondes, réunit la tradition médiévale : pointes triangulaires et pyramidales, pointes à deux faces, tables taillées à plein fond, et des nouveautés qui anticipent la Renaissance dont un diamant "en cœur" présenté la pointe en dessous, une rareté.

Portés, ces diamants renvoyaient de vifs faisceaux dont les souverains s’amusaient à éblouir leurs courtisans, mais ces éclats trop brefs ont semble-t-il compliqué le travail de perception des peintres.

Diamants "noirs"

Beau sancy

Zirconium taillé de 110 facettes (55 facettes triangulaires sur chacune de ses faces), à la forme du diamant historique le Beau Sancy

CC BY-SA 3.0 Heleashard

Dans la restitution que donne le peintre Bourdichon du carcan en 1508, les diamants apparaissent comme des petits morceaux de verre noir à côté des perles de culture délicatement nacrées. Au XVIIe siècle, les peintres n’ont pas encore la compréhension des phénomènes optiques qui explique la brillance1 des diamants, pourtant, les techniques de taille progressent. Le "Beau Sancy" acquis par Henri IV introduit un des premiers facettages stellaires dès 1583. Il apparait grisâtre sur la couronne de sacre de Marie de Medicis, peinte par Frans Pourbus le Jeune. À partir de 1640, les joailliers multiplient les facettes pour faire entrer la lumière mais les "Mazarins" restent gris et sans éclat dans les portraits de Marie-Thérèse d’Autriche par Mignard. On peine à expliquer ces résultats autrement que par une méconnaisance des lois optiques, à une époque où les peintres excellent dans l’art de rendre la finesse des dentelles, le moiré des tissus, et la transparence des gouttes d’eau sur les coupes de cristal.

  • 1Action de la lumière blanche réfléchie à travers la partie supérieure d’un diamant

Premiers grands brillants

Grand Diamant bleu de Louis XIV - Muséum national d'Histoire naturelle

© MNHN - F. Farges

Le Grand Diamant Bleu de Louis XIV est le premier diamant décrit comme "à la mode", c’est à dire brillanté des deux côtés dans l’inventaire de 1691. Jean Pittan le Jeune (v. 1617-1676), l’un des joailliers de Louis XIV, supervise cette taille périlleuse pendant trois ans, possiblement influencé par les découvertes de Newton sur la réfraction du spectre lumineux. Pour dompter les "feux"2, ces arcs-en-ciel de couleur qui se répercutent dans les cristaux taillés, Pittan établit des angles de taille à 26 degrés qui "piègent" la lumière à l’intérieur du diamant avant de la renvoyer en direction de l'observateur. Ses inventions vont influencer la taille en brillant et la retaille de certains Mazarins sous Louis XV. Malgré ce nouveau facettage, ils restent sans éclat3 dans le portrait du Roi réalisé par Vincent Montpetit en 1773. Il faut attendre la fin du XVIIIe, l’essor des sciences minérales, puis le talent de Ingres pour que les diamants subliment enfin les couches d’huile, et que le "Régent" commence à briller sur l’épée du consul Bonaparte.

  • 2Action de la lumière colorée réfléchie de l’intérieur un diamant
  • 3Combinaison des feux et de la brillance d’une gemme

Le "Brillant Tolkowsky"

Au XIXe, les diamants deviennent un luxe de grands bourgeois. L’optimisation des angles et des facettes se poursuit pour aboutir à la fameuse "taille idéale" mise au point en 1919 par Marcel Tolkowski. Ce diamantère belge, passionné de mathématiques et de physique, décrit le brillant parfait dans son livre Diamond Design. Sa forme est ronde formée de 57 ou 58 facettes, avec "pour la couronne : 1 table, 8 bezels4, 8 étoiles, et 16 haléfis5 et pour la culasse : 8 pavillons et 16 haléfis". L’angle du pavillon est fixé à 40°45', celui de la couronne à 34°30', le rapport de la table au reste du diamant est de 53 %. Cette coupe permet d’obtenir deux pierres taillées avec un minimum de perte de matière. Le "Brillant Tolkowsky" est encore aujourd’hui un standard de la bijouterie.

  • 4Rebord qui entoure un joyau
  • 5Petites facettes symétriques qui longent le rondiste d’un diamant en taille brillant. Le rondiste est le diamètre de la pierre délimité au moment du débrutage, une opération opération entreprise avant le facettage pour arrondir les bords d’un diamant brut.

Le culte des diamants "blancs"

Au XXe siècle, la représentation des diamants reste problématique. Alors que la photographie permet enfin de capter le phénomène des feux, ces éclats de couleurs sont rarement conservés dans l’iconographie de la haute joaillerie. Par un étonnant consensus esthétique, photographes et bijoutiers ont pris l’habitude de décolorer les diamants, et de passer leurs éclairs bleus, jaunes ou roses en "niveaux de gris". Ce culte des diamants blancs paraitra sûrement aussi étrange aux observateurs du futur que le sont pour nous les diamants noirs des peintures du Moyen-Âge.

Reconstitutions

Photographie d'une page vieillie avec un gouaché de Jacqumin de la Toison d'or

Gouaché de 1749 par Jacqmin

© P. Monnier, H. Horovitz

Au Muséum national d’Histoire naturelle, les scientifiques qui cherchent à reconstituer l’apparence des Joyaux de la Couronne sont confrontés à deux problèmes. Le premier tient à la rareté de leurs représentations expliquée, en partie, par le fait que les joyaux étaient souvent laissés en gage ou hypothéqués. On n’a retrouvé, par exemple, aucun portrait de Louis XIV avec son Grand Diamant Bleu. La deuxième difficulté tient à la fidélité de ces représentations. Dans bien des cas, la restitution des peintres est approximative voir fantaisiste, comme celle de la Toison d’Or peinte par Carle van Loo en 1750, et on ne peut s’y fier. Pour les joyaux disparus ou retaillés, seul un minutieux travail de recherche dans les archives permet de confronter leurs descriptions avec les moulages que les joailliers nous ont laissés.

Hightech du brillant

Dans les années 2000, les logiciels de simulation 3D viennent soutenir ce travail. La reconstitution virtuelle d’un joyau commence par un scan précis du moulage. Ce scan établit son facettage et permet de déterminer les plans de clivage6 et l’ordre dans lequel les différentes parties ont pu avoir été taillées. La deuxième étape consiste à simuler la couleur du diamant au terme de calculs complexes prenant en compte sa spectrométrie mais aussi sa composition chimique et moléculaire. Une troisième étape établit les effets de la lumière dont on sait qu’elle influence non seulement l’éclat mais aussi la couleur finale de la gemme. Ces données sont entrées dans un logiciel qui va calculer le rendu photoréaliste du bijou, et permettre sa visualisation selon différents angles de vues. Ces calculs ont ainsi permis de reconstituer la réplique du Grand Diamant Bleu en 2007, et celle des Mazarins dont une grande partie a disparu au XIXe siècle.

  • 6Opération qui consiste à séparer une pierre brute en deux ou plusieurs morceaux selon une orientation dictée par sa structure cristalline

Hyperréalisme

Aujourd’hui les simulations virtuelles des joyaux nous confrontent à une nouvelle limite de la perception qui ne tient plus à la pauvreté mais à la surabondance des données qui prennent l’œil d’assaut : trop de feux, trop de netteté, trop de précision, donnent parfois à ces restitutions un éclat d’irréalité. Aujourd’hui, l’informatique a pris une place stratégique dans l’industrie diamantaire. Elle permet d’optimiser les tailles et de réaliser des coupes au laser parfaites sans intervention de la main de l’homme. Les bijoux anciens avec leurs imperfections apparaissent encore plus précieux au regard de cette production standardisée.

Ce dossier a été rédigé en 2014. Tous nos remerciements à François Farges, Professeur et ancien chargé de conservation des collections de minéralogie au Muséum national d’Histoire naturelle, pour son aide précieuse pendant l’écriture de ce dossier.

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