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À Paris, quels arbres pour adapter la ville au changement climatique ?
La ville de Paris possède un patrimoine arboré très important, dont témoigne l’open data de la ville présentant l’identité et la localisation de plus de 205 000 arbres dans la capitale.
À ce nombre s’ajoutent tous les arbres non gérés et suivis par la direction des espaces verts et de l’environnement de la ville de Paris, comme ceux du jardin des plantes, du parc de la cité internationale, du jardin du Luxembourg, du jardin des Tuileries et de très nombreux autres parcs et jardins privés.
Plus de 700 espèces d'arbre à Paris
Le comptage précis des essences d’arbres de Paris se heurte à plusieurs autres difficultés, comme la limite non clairement établie entre arbre et arbuste (en principe hauteur supérieure à 5 ou 7 m pour un arbre), ainsi que les variations taxonomiques intraspécifiques, certaines sous-espèces ou variétés étant parfois perçues comme de vraies espèces par certains auteurs.
Les dénombrements réalisés à partir de l’open data et de données complémentaires sur les autres espaces verts, non comptabilisées dans cette base de données, permettent toutefois de considérer qu’il y a actuellement à Paris plus de 700 espèces différentes d’arbres (tel que considéré dans l’open data, prenant parfois aussi en compte des espèces arbustives hautes), ce qui est tout de même assez remarquable.
C’est logiquement l’arboretum de Paris, au cœur du bois de Vincennes, qui, sur ses 12 ha, en concentre le plus grand nombre, avec environ 485 espèces (et globalement plus de 800 taxons, en comptant les sous-espèces, variétés et cultivars). Le jardin des plantes abrite quant à lui, sur 23,5 ha, plus de 270 espèces d’arbres (dont beaucoup évidemment en commun avec l’arboretum), alors que le parc de la cité internationale affiche 235 espèces d’arbres sur 34 ha.
Les grands parcs urbains créés à l’époque haussmannienne dépassent aussi pour chacun d’entre eux les 100 espèces différentes d’arbres : environ 115 pour celui des Buttes-Chaumont (24,7 ha), 140 pour le parc Montsouris (15,5 ha), et même 150 pour le parc Monceau sur 8,4 ha. Des squares de plus petites dimensions peuvent également héberger une diversité arborescente importante, comme celui du Serment de Koufra (de 2,7 ha) avec plus de 50 espèces distinctes, dont certaines espèces très rares dans les parcs botaniques de Paris, par exemple les chênes de Hongrie (Q. frainetto) et du Japon (Quercus acutissima), ainsi que le chêne noir (Q. nigra), une espèce américaine.
Des essences dominantes, d’autres très rares
Les espèces dominantes dans la ville de Paris sont les platanes, les marronniers, les tilleuls et les érables, qui ensemble constituent plus de 50 % des arbres de la ville. Ces arbres ont souvent été plantés historiquement en peuplements denses et monospécifiques, ce qui accroît leur vulnérabilité aux agents pathogènes. Comme essences secondaires bien représentées, on peut citer le sophora du Japon, les frênes, les pins, les chênes, etc.
D’autres espèces au contraire sont bien plus rares, certaines n’étant représentées que par moins de 5 individus dans les espaces verts de la capitale. Par exemple le remarquable conifère Wollemia nobilis, espèce nouvelle découverte en 1995 en Australie, n’est pas mentionné dans l’open data. Il est présent au jardin des plantes, au parc des Bagatelles ainsi que dans celui du quai Branly et peut-être également dans quelques autres jardins secrets de la capitale.
Le genre le plus diversifié dans les espaces verts de Paris est le genre Quercus, correspondant aux chênes, avec plus de 40 espèces et quelques hybrides plantés dans la capitale. Un autre genre très bien représenté est Acer, correspondant aux érables, avec 36 espèces différentes et 4 hybrides.
Quelle place pour les essences indigènes ?
La ville de Paris s’est engagée à planter 170 000 arbres au cours de la mandature 2020-2026. Faut-il y opter principalement pour des essences indigènes en Île-de-France ? En effet, le plan biodiversité de la ville de Paris propose, dans son action 21, « de favoriser les espèces végétales régionales ». Les essences indigènes en Île-de-France, peu nombreuses (de l’ordre d’une vingtaine d’espèces d’arbres), doivent évidemment y avoir toute leur place, à condition qu’elles y soient adaptées aux conditions environnementales actuelles et à venir dans les prochaines décennies.
Dans les « vraies forêts » d’Île-de-France hors agglomérations, ce choix de privilégier les essences indigènes (et d’exclure autant que possible les essences exotiques) dans les plantations est pleinement justifié. Cette orientation doit aussi être appliquée dans les forêts suburbaines parisiennes (bois de Boulogne et de Vincennes) dans l’objectif d’accroître la naturalité de ces forêts.
Par contre, cette option apparaît bien plus discutable en centre-ville, car des espèces allochtones y sont souvent mieux adaptées aux conditions environnementales actuelles et futures et peuvent y rendre des services écosystémiques plus importants que les espèces autochtones.
D’autre part, les essences exotiques potentiellement envahissantes peuvent y être facilement identifiées et maîtrisées. La diversification de la palette végétale par des essences allochtones doit ainsi permettre un accroissement des services écosystémiques et un embellissement du paysage urbain.
70 % des essences de nos villes à risques
Selon la dernière estimation publiée début 2022, la flore ligneuse mondiale serait riche de plus de 73 000 espèces d’arbres, dont 9 000 resteraient à décrire, la plupart de ces espèces étant inféodées aux régions tropicales et donc non adaptées aux conditions climatiques de la ville de Paris.
Des milliers d’espèces d’arbres existent toutefois dans les régions tempérées américaines et eurasiatiques, ce qui laisse encore de grandes possibilités d’enrichissement et de diversification de la flore ligneuse parisienne.
Des expérimentations d’introduction à Paris de telles essences exotiques pourraient ainsi permettre d’évaluer leurs potentialités d’acclimatation dans nos villes et les services écologiques qu’elles seraient susceptibles d’y assurer, en particulier dans le contexte du changement climatique actuel.
Cette diversification des essences dans les villes apparaît d’autant plus cruciale que plus de 70 % des espèces actuelles de nos villes, dont toutes les essences indigènes en Île-de-France, seront en situation de risque par rapport au changement climatique d’ici à 2050 à Paris et dans les autres grandes villes françaises.
Par exemple, il existe quelque 435 espèces de chênes dans le monde, présentes principalement dans les zones tempérées de l’hémisphère nord.
Un grand nombre d’entre elles ont été introduites dans des arboretums français et des pays voisins. Ainsi plus de 300 espèces de chênes sont à l’arboretum de Pouyouleix (Dordogne), plus de 250 espèces dans celui de JL Hélardot (Corrèze), de nombreuses également à l’arboretum de Wespelaar près de Bruxelles, etc. De quoi permettre d’enrichir encore les collections de chênes des parcs et jardins, ainsi que des boulevards et avenues de la ville de Paris !
Un enrichissement à poursuivre
Ce sont évidemment en premier lieu l’arboretum de Paris et les jardins botaniques (dont le jardin des plantes, en liaison avec l’arboretum de Versailles-Chèvreloup) qui ont vocation à diversifier la flore ligneuse parisienne, mais les parcs, squares, cimetières et d’autres espaces verts de la capitale peuvent également y contribuer.
Cet enrichissement peut aussi conduire à créer des ensembles ligneux cohérents sur le plan biogéographique. C’est ainsi que, dans le cadre du projet de la ville de Paris de création d’une forêt urbaine à la place de Catalogne (XIVe arrondissement), nous avons proposé de constituer une forêt de type subméditerranéen.
Sur le même principe, pourraient être créées dans la capitale (comme dans d’autres villes…), sur de petites surfaces (de l’ordre de quelques milliers de m2), des forêts tempérées de type américain ou asiatique, voire de l’hémisphère Sud, permettant au public de bénéficier sans se déplacer d’un premier aperçu des communautés d’arbres de ces régions.
Serge Muller, Professeur émérite, chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original. Article publié le 24 octobre 2022.
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