Découverte du plus ancien dessin figuratif connu fait par un humain
Une publication dans Nature révèle la dernière découverte faite sur une île indonésienne : une peinture représentant un suidé (porcin) et des formes humaines. Datée d’il y a plus de 50 000 ans, ce serait la plus ancienne peinture que l’on connaisse qui soit figurative ! Entretien avec Éric Robert, archéologue et préhistorien du Muséum.
En quoi cette découverte est-elle remarquable ?
Cette découverte s’inscrit dans une dynamique exceptionnelle en cours depuis plus d’une dizaine d’années, en Indonésie, sur l’île de Sulawesi. De nombreux sites y ont été découverts avec des peintures sur les parois, évoquant les animaux de l’île. Ces peintures ont pu faire l’objet de datations indirectes grâce à la méthode de l’Uranium/Thorium, et il est apparu que les plus anciennes remontaient déjà à plus de 44 000 ans. Cet article a ainsi publié la dernière datation obtenue sur un autre site de Sulawesi. Celle-ci dépasse la barre symbolique des 50 000 ans. Cette datation confirme que, à ce jour, ce sont les représentations figuratives les plus anciennement datées dans le monde.
Qu’est-ce que l’art rupestre ? Et l’art pariétal ?
Quels sont les sujets les plus représentés par les humains préhistoriques, et que sait-on de l’apparition de la figuration dans l’art ?
Les humains préhistoriques (Homo sapiens comme Néandertal) ont d’abord tracé des séries de traits, des formes géométriques modestes, il y a environ 80 à 100 000 ans en Europe comme en Afrique. On en connait quelques rares évidences. Mais c’est seulement Homo sapiens qui va réaliser les premières représentations figuratives, quelques dizaines de millénaires plus tard. Il représente alors essentiellement des animaux de son environnement, de préférence des herbivores (les babirossa, sorte de suidés, ou des capridés en Indonésie ; chevaux, bisons, cervidés en Europe de l’Ouest). Il y a aussi des représentations humaines, mais elles sont rares, souvent sommaires (mains négatives) ou "transformées" (simplistes, schématiques, mêlées à des caractères animaliers).
Pourquoi parle-t-on d’un "boom" il y a 50 000 ans ? Qu’est-ce qui pourrait expliquer l’expansion de l’art pariétal à cette période ?
Pendant longtemps, les œuvres figuratives étaient uniquement connues en Europe de l’Ouest : des sculptures en ivoire, comme dans le Jura Souabe en Allemagne, avec les statuettes animales de chevaux, mammouths, félins à Vögelherd, Geissenklösterle, l’Homme-Lion de Hohlenstein-Stähle, ou encore la statuette de Hohle Fels, datée autour de 40 000 ans. Il y a aussi plusieurs sites situés dans des grottes ou sous abris, à peine plus tardifs, dans le vallon de Castel Merle près des Eyzies (Dordogne), avec des blocs gravés et sculptés datés à plus de 38 000 ans. Il y a également les peintures du site d’Altxerri B en Espagne, ou bien sûr la grotte Chauvet en Ardèche (entre 33 et 37 000 ans d’après les dates connues).
Plus récemment, en Indonésie avant tout, mais probablement aussi en Australie, on connait d’autres œuvres mettant en valeur des animaux et témoignant d’un investissement pictural important de la part des groupes humains. Ce sont également les preuves d’une maîtrise technique et gestuelle totale.
Il est difficile d’estimer pourquoi cette bascule a eu lieu. Elle est liée aux Homo sapiens les plus "récents". En effet, selon nos connaissances actuelles, il aura fallu plus de 200 000 ans pour qu'Homo sapiens arrive à ce choix de laisser la trace d’une mémoire, de récits, ou de parcours sur les parois d’abris ou de grottes. On peut penser que cela répondait à un besoin social, peut-être consécutif à sa dernière sortie d’Afrique, et à une forme "d’historique" de ce parcours, mais aucun élément tangible ne permet aujourd’hui de comprendre pourquoi ce besoin a pu apparaître. La découverte de Sulawesi présente l’intérêt de faire reculer cette émergence, et de la voir sur un temps de plus en plus long, et surtout rapprochée de sa sortie d’Afrique, d’abord orientée vers l’Asie avant de se faire vers l’Europe.
Quels outils et techniques étaient employés par les humains préhistoriques ?
La technique la plus connue et usitée pour créer les images préhistoriques est la gravure : le plus souvent à l’aide d’outils en pierre (le silex pour les sites d’Europe de l’Ouest), que ce soit sur des objets en os, des supports en pierre, des parois calcaires… La gravure est présente dans les arts rupestres de tous les continents. Elle peut aussi, beaucoup plus rarement, être faite avec le doigt sur des supports comme des pellicules argileuses. On soupçonne aussi l'utilisation d'outils en bois végétal ou animal, mais qui n’ont hélas pas été retrouvés, et qui restent difficiles à caractériser.
Les peintures, comme à Sulawesi, sont faites avec des pigments minéraux mélangés à des matières liquides et/ou graisseuses (graisse animale). On y retrouve ainsi des oxydes de fer pour la panoplie des rouges, et les oxydes de manganèse sont les plus fréquents pour les noirs, mais là aussi tout dépend des ressources disponibles dans les espaces investis par les groupes humains pour faire ces œuvres.
Qui a fabriqué les premiers outils ?
Entretien avec
Éric Robert
Maître de conférences et préhistorien au Muséum national d’Histoire naturelle (Histoire naturelle de l'Homme préhistorique - UMR 7194)
Référence scientifique
Oktaviana, A.A., Joannes-Boyau, R., Hakim, B. et al. Narrative cave art in Indonesia by 51,200 years ago. Nature (2024). https://doi.org/10.1038/s41586-024-07541-7