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Des foyers néandertaliens occupés par périodes successives : au cœur des enjeux de la datation

Six foyers attribués aux Néandertaliens ont été découverts sur le site archéologique d’El Salt, près d’Alicante en Espagne. Pour autant, des écarts de datation assez importants ont pu être notés par les scientifiques. Quelles sont les diverses hypothèses pour les expliquer, et comment ont-ils été datés ?

Dater des « foyers » de combustion

Difficile de déterminer une chronologie précise à El Salt du fait des limites des techniques de datation. La datation radiocarbone (le carbone 14 par exemple) – qui s’applique à tous les échantillons contenant du carbone comme le bois, les ossements, les coquilles… – ne permet pas de dater au-delà de 50 000 ans.

On peut citer l’exemple de la grotte de Bruniquel, où la plus vieille construction humaine a été découverte par Bruno Kowalscewski, spéléologue.

Cette structure est composée de 400 morceaux de stalagmites, soigneusement coupés. Ils ont été placés de façon à former deux cercles. Des traces de combustion ont été retrouvées sur les stalagmites. Ce sont, au total, pas moins de douze structures de combustion qui ont été dénombrées.

En 1995, une première datation a été produite grâce à la méthode du radiocarbone. Les scientifiques étaient parvenus à l’âge de 47 600 ans. Mais ce résultat n’était pas nécessairement fiable compte tenu des limites de la datation.

Les recherches ont donc été reprises en 2014, avec la méthode radiométrique de l'uranium-thorium (U-Th). Les scientifiques ont prélevé par carottages une dizaine d’échantillons de stalagmite, ainsi qu’un os brûlé recouvert de calcite.

Au Paléolithique, le combustible utilisé était plutôt de l’os. Il faut du bois sec pour démarrer le feu, mais c’est l’os qui vient l’alimenter car il permet de faire une combustion beaucoup plus lente, avec une lumière assez régulière. Avec la méthode radiométrique de l'uranium-thorium (U-Th), les traces de combustion ont été datées d’environ 176 500 ans. Elles ont ainsi été attribuées aux Néandertaliens.

Les techniques de datation sur le site d’El Salt

Sur le site d’El Salt, six foyers différents ont pu être distingués. Après une première étude des restes néandertaliens (outils, ossements, coprolithes…), il est apparu que ces foyers au sein du même abri ne dataient pas tous de la même période.

Pour connaître leur ordre d’apparition, les scientifiques ont tout d’abord utilisé une technique dite « archéomagnétique ». Celle-ci se fonde sur l’étude de matériaux brûlés. En effet, lorsqu’il y a combustion, une trace de l’intensité du champ magnétique reste ancrée dans certaines matières. C’est en étudiant la « force » et la « direction » du champ magnétique que les scientifiques peuvent situer temporellement l’objet. Cette technique peut être appliquée à de l’argile cuite, des fours, des feux, des céramiques… Elle a ainsi pu être utilisée sur les traces de feu de camp du site préhistorique.

Une méthode fondée sur la stratigraphie a également pu être utile lors de la datation de ces foyers. En effet, cette branche de la géologie étudie spécifiquement la succession spatiale et temporelle des roches. Elle est fortement liée à la paléontologie car les lieux de fouilles révèlent généralement leur période d’apparition grâce aux roches qui les forment.

Grâce à ces deux techniques, les scientifiques ont pu déterminer que les divers foyers dataient d’environ 52 000 ans, et surtout que leur occupation avait pu être espacée de plusieurs dizaines à une centaine d’années.

Ces techniques de datation restent malgré tout limitées : comme cela a été dit, celles qui utilisent du radiocarbone ne sauraient dater des éléments vieux de plus de 50 000 ans et peuvent montrer de larges inexactitudes.

Ce que cette étude révèle sur le comportement des Néandertaliens

La mise en lumière de ces périodes d'occupation du site par Néandertal a naturellement soulevé des questions. Pourquoi de tels écarts ? Quel était le fonctionnement de Néandertal quant à son occupation d’un abri ?

Grâce à cette étude croisant diverses techniques, les scientifiques ont pu mettre en avant une certaine mobilité (ou nomadisme) de Néandertal. Ils auraient ainsi pu revenir dans d’anciens campements non occupés durant de longues périodes. Pour autant, cela ne se faisait sans doute pas à l’échelle d’une population mais plutôt à l’échelle individuelle.

Ces foyers sont des indices précieux sur le comportement de Néandertal sur le long terme, qui aurait pu ainsi se protéger à nouveau sous des abris déjà connus par le passé.

Remerciements

Article rédigé en juillet 2024. Remerciements à Antoine Balzeau, paléoanthropologue au MNHN (UMR 7194 – Histoire naturelle de l’Homme Préhistorique), pour sa relecture. 

Référence scientifique

Herrejón-Lagunilla, Á., Villalaín, J.J., Pavón-Carrasco, F.J. et al. The time between Palaeolithic hearths. Nature 630, 666–670 (2024). https://doi.org/10.1038/s41586-024-07467-0