Douze nouvelles espèces découvertes en Corse
Douze espèces, jusqu’à présent inconnues, viennent d’être décrites en Corse. Et près de 150 espèces déjà connues ont été signalées pour la première fois sur l’île. Une découverte réalisée dans le cadre du programme La Planète Revisitée, mené par le Muséum en différents points de la planète pour réaliser des inventaires de biodiversité. Rencontre avec Julien Touroult, directeur du centre d’expertise et de données PatriNat (OFB – MNHN), qui a coordonné le volet terrestre de l’expédition.
Quelles sont les nouvelles espèces qui ont été découvertes en Corse et que nous indiquent-elles ?
Parmi les 12 espèces décrites comme nouvelles pour la science, se trouvent deux guêpes, un papillon, un mille-pattes, et surtout huit diptères (mouches). En parallèle, 148 espèces, déjà connues ailleurs, viennent d’être signalées pour la première fois en Corse, dont 70 espèces de diptères. C’est la preuve que même sur cette île que nous connaissions déjà bien, et où nous ne pensions pas forcément trouver de nouvelles espèces, il y a encore beaucoup à découvrir quand on s’en donne les moyens. Nous avons par ailleurs la confirmation que la Corse héberge de très nombreuses espèces endémiques (présentes nulle part ailleurs). On s’est ainsi aperçu que certaines des espèces présentes en Corse que nous pensions être les mêmes que sur le continent sont en réalité des lignées distinctes : c’est le cas du sphynx du pin de Corse, un grand papillon gris de 6 centimètres d’envergure, d’apparence très proche de ses voisins du continent mais qui a pu être décrit par un chercheur du Muséum comme une nouvelle espèce grâce à des techniques modernes de séquençage d’ADN.
Trois expéditions ont été menées en Corse entre 2019 et 2021. Quelle était votre ambition initiale si ce n’était la découverte de nouvelles espèces ?
Nous souhaitions avant tout moderniser les collections du Muséum : les spécimens de l’île de Beauté qui s’y trouvent ont souvent 100, 150 voire 200 ans. Pour la plupart, aucune localité précise n’y est associée (a-t-elle été trouvée en plaine ou en altitude ?, etc.) ce qui limite leur usage pour la recherche et pour la conservation. L’ADN, quant à lui, est dégradé, ce qui rend toute recherche plus laborieuse alors que nous disposons aujourd’hui de techniques modernes qui permettent de mieux l’étudier. D’où l’intérêt d’étudier des spécimens frais.
Comment avez-vous organisé la collecte sur le terrain ?
Nous avons d’abord choisi, en lien avec l’Office de l’environnement de la Corse, 19 sites variés d’un point de vue écologique et susceptibles d’abriter une diversité d’espèces intéressantes. Sur 3 d’entre eux, nous avons installé des dispositifs de piégeage importants (notamment des pièges d’interception qui collectent passivement les insectes qui volent). Ensuite, nous nous sommes bien entourés : nous avions pour ce programme des experts ayant une bonne pratique du terrain ainsi que des personnes dédiées à l’installation des pièges. Au retour, nous avons travaillé avec des spécialistes du tri des échantillons - une tâche très chronophage – et avec près de 80 taxonomistes (qui identifient et décrivent les espèces) dans toute l’Europe. L’implication et l’efficacité de chacun nous a permis de raccourcir considérablement le temps de la science, en décrivant douze nouvelles espèces deux ans après la fin des expéditions, alors qu’il faut habituellement une vingtaine d’années entre le moment de la découverte et le moment où elle est décrite !
Pourquoi une telle urgence ?
Contrairement à ce que nous avons longtemps pensé, il existe encore un très grand nombre d’espèces à découvrir : seule une petite partie d’entre elles a été décrite ! Dans le même temps, elles déclinent et s’éteignent à un rythme alarmant. C’est particulièrement le cas de la « biodiversité négligée » (mollusques, arthropodes, insectes, crustacés, araignées, champignons, lichens…) qui a été peu étudiée jusqu’à présent, comparée aux oiseaux et aux plantes à fleurs par exemple et qui nous intéresse particulièrement dans le cadre du programme La Planète Revisitée. Les espèces qui ne sont pas décrites n’ont pas d’existence aux yeux de l’être humain, c’est pourquoi il est important de chercher à en connaître le plus possible pour mieux les protéger !
Qu’allez-vous faire de toutes ces nouvelles connaissances sur la biodiversité corse ?
Elles sont mises à disposition de tous dans l'Inventaire national du patrimoine naturel (INPN). Cela aide non seulement les scientifiques à connaître ce qui est déjà signalé et à préciser la répartition des espèces, mais aussi les gestionnaires d’espaces naturels qui peuvent retrouver toutes les observations qui ont été faites sur leur territoire et ainsi adapter leur plan de gestion. Ce sont aussi des archives pour les générations futures…
Référence scientifique
Touroult, J., Ichter, J., Pollet, M., Pascal, O., Poirier, E., Rougerie, R. Decherf, B., Andrei-Ruiz, M.-C., Hugot, L. & Dusoulier, F. 2023. Our Planet Reviewed in Corsica 2019-2021: a large-scale survey of neglected biodiversity on a Mediterranean island. Bulletin de la Société entomologique de France, 128 (4): 353-382. doi.org/10.32475/bsef_2285