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Mais qu’est-il donc arrivé aux nautiles il y a 66 millions d’années ?

Le projet mené par Stijn GOOLAERTS dans le cadre de sa mission de recherche au Muséum national d'Histoire naturelle, financée par le programme scientifique européen SYNTHESYS, a pour but de mieux comprendre ce qui est arrivé aux nautiloïdes lors de la crise Crétacé/Paléogène (ou crise Crétacé-Tertiaire, crise K-T) il y a 66 millions d’années. En effet, pendant cette période, où quasiment tous les dinosaures s’éteignent, l’autre groupe de céphalopodes possédant une coquille, les ammonoïdes, ne laisse quasiment aucune trace fossile. Et, alors que l’extinction des ammonoïdes a fait l’objet d’une grande attention durant ces dernières décennies, aucune étude concernant les raisons ayant permis aux nautiloïdes de survivre n’a été menée dans le détail.

Il y a 66 millions d’années, une météorite plus grande que le Mont Everest s’est écrasée sur la Terre à proximité de Chicxulub sur la Péninsule du Yucatán (Mexique). Cet évènement a engendré la disparition rapide de quasiment tous les dinosaures (sauf certains pourvus de plumes) et des ammonites. Cette crise Crétacé-Tertaire (crise K-T) est aujourd’hui considérée comme l’un des évènements géologiques les plus marquants de notre planète. De nombreuses espèces de plantes et d’animaux ont disparu suite à cet évènement, donnant le nom de « Big Five » à cette cinquième extinction de masse. Mais parmi les quelques rares organismes qui ont survécu à ce bouleversement figurent les nautiles que l’on peut encore observer nageant librement dans les océans.

Ainsi, après avoir erré dans les océans, côte à côte, durant près de 350 millions d’années, deux groupes de céphalopodes pourvus d’une coquille (Classe des Cephalopoda), autrement dit les Nautiles (Sous-Classe Nautiloidea) et les Ammonites (Sous-Classe Ammonoidea), ont eu des destins bien différents. Le groupe des ammonites s’est totalement éteint alors que celui des nautiles a survécu. Le succès évolutif distinct de chaque groupe lors de la crise K-T subjugue les scientifiques depuis bien longtemps. Et ces divergences de parcours peuvent s’expliquer par des différences de stratégies reproductives, de conditions de vie des jeunes, de régime alimentaire, d’habitat, ou une combinaison de plusieurs paramètres, probablement accrus par les changements environnementaux considérables survenus juste après l’impact au Chicxulub.

Pendant ces dernières décennies, alors que la communauté scientifique s’est sérieusement penchée sur les raisons qui ont amené à l’extinction des ammonoïdes, l’histoire des nautiloïdes, quant à elle, n’a apparemment pas déchaîné plus d’intérêt que cela.

Des recherches plus récentes, et en partie financées par SYNTHESYS, ont révélé que bien qu’ils aient survécu, les nautiles ont subi d’importants changements dans leur évolution, qu’on appelle plus communément « renouvellement », sous la forme de séries d’extinctions, de migrations et de spéciations au sein de plusieurs lignées. Quoi qu’il en soit, à l’heure actuelle, on en sait vraiment très peu sur la véritable nature, le moment où cela s’est passé, le taux, les formes, et les causes de ce renouvellement. Il en va de même concernant les liens éventuels avec des modifications majeures de la biodiversité globale, des écosystèmes, du climat et du niveau de la mer.

L’accès aux données de temps et d’espace est difficile et la taxonomie au sein du groupe nécessite une révision complète. Il est donc essentiel de résoudre ces deux problèmes si l’on veut mieux comprendre le renouvellement qui a touché les nautiloïdes pendant la crise K-T. Et il semblerait que ce soit l’Europe qui possède la clé de ce « mystère ».

En effet, en général, les fossiles de nautiles sont très rares dans les séquences géologiques de la crise K-T, sauf en Europe. Cet espace géographique présente de nombreux sites qui attestent de paléo-environnements riches et bien conservés ayant livrés des spécimens aujourd’hui abrités au Muséum national d'Histoire naturelle, au NHM (Angleterre), au NRM (Suède), MfN (Allemagne) et au RBINS (Belgique), et qui attendent d’être étudiés.

En outre, si l’on en croit les spécimens observés, les faunes de nautiles datant du Crétacé supérieur au Paléogène inférieur (66-65 millions d’années) présentent une variété considérable, mettant en évidence un renouvellement majeur.

Pendant sa mission de recherche au Muséum national d'Histoire naturelle, financée par le programme SYNTHESYS, Stijn GOOLAERTS s’est donc focalisé sur ces fossiles de nautiles provenant de plusieurs sites en France. Et les résultats de ses travaux feront l’objet de publications dans les mois à venir.

Quelques mots sur Stijn GOOLAERTS

 

Portrait de Stijn Goolaerts

Stijn GOOLAERTS, Docteur en Géologie-Paléontologie, est chercheur au Royal Belgian Institute of Natural Sciences (RBINS-KBIN-IRSNB) et à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB-KBIN-RBINS).

Son objectif scientifique principal est de mieux comprendre l’histoire évolutive des céphalopodes à coquille externe tels que les ammonoïdes et les nautiloïdes, en particulier pendant les principales périodes de renouvellement évolutif comme la crise K-T. Parallèlement à ces travaux, Stijn GOOLAERTS mène d’autres projets sur les céphalopodes du Dévonien de Belgique, les invertébrés du Crétacé supérieur du basin Campine et la stratigraphie Miocène-Pliocène. Avec l’aide de volontaires, il s’intéresse également à la conservation de sites riches en patrimoine géologique mis en péril par des projets de construction.

Pour plus d’informations, contactez Stijn GOOLAERTS (stijn.GOOLAERTS@naturalsciences.be) our sur Researchgate, academia.edu, ou encore google scholar.