Un nouveau gisement fossile exceptionnel découvert dans l'Hérault
Une étude publiée dans la revue Nature décrit un nouveau gisement fossile à préservation exceptionnelle découvert à Cabrières, dans le Sud de la France. Ce gisement date de l'Ordovicien, il y a près de 470 millions d’années, et a été découvert par un couple de paléontologues amateurs.
Une étude1 parue en février 2024 annonce la découverte, dans un site paléontologique de l’Hérault, de plus de 400 fossiles datant de l’Ordovicien, il y a près de 470 millions d’années. Ce biote (assemblage de faune et de flore) vivait sur les fonds marins à l’époque où le sud de la France et le nord de l’Afrique se situaient au pôle Sud.
- 1Saleh, F., Lustri, L., Gueriau, P. et al. The Cabrières Biota (France) provides insights into Ordovician polar ecosystems. Nature Ecologie & Evolution (2024). doi.org/10.1038/s41559-024-02331-w
Si les gisements de cette époque sont relativement nombreux dans le monde, celui-ci présente un état de préservation exceptionnelle des spécimens. Habituellement, les paléontologues retrouvent surtout les « parties dures » (squelette interne, exosquelette, coquille...) des organismes, mais ce gisement comporte également de nombreux organismes à corps mous, tels que des vers, des éponges et plusieurs espèces d’algues ramifiées. Dans l’un des fossiles, c’est même une portion de l’intestin d'un ver qui aurait été préservée.
Les gisements fossiles exceptionnels sont appelés des Lagerstätten. Plus précisément, le gisement de Cabrières est un Konservät-Lagerstätte, ou gisement fossile à préservation exceptionnelle.
Comment se forment les fossiles ?
Cette fossilisation exceptionnelle fait du gisement de Cabrières l’un des 5 Lagerstätten au monde datant de l’Ordovicien. Mais ce qui distingue Cabrières des autres sites, c’est le fait qu’il se trouvait près du pôle Sud, alors que les quatre autres Lagerstätten ordoviciens étaient en zone tropicale à cette période. Les organismes présents dans le biote de Cabrières sont également très différents de ceux observés dans le reste du monde à l’époque. Cela suggère que cette région servait de refuge pour certaines espèces ayant disparu des régions aux températures élevées, situées plus au nord.
Une découverte qui éclaire sur l'« explosion de la vie »
Une grande diversification de la vie animale a eu lieu il y a environ 535 à 470 millions d’années. Elle est amorcée à l’Ediacarien (il y a 639 à 535 millions d’années), et prend essentiellement place au Cambrien (il y a 535 à 487 millions d’années). Cette explosion de la vie animale est généralement appelée « explosion cambrienne », mais elle se poursuit au-delà du Cambrien, jusqu’à l’Ordovicien.
La faune et la flore de Cabrières vivaient donc au pôle Sud à la fin de cette première grande diversification de la vie animale. Elle précède par ailleurs un autre événement majeur de l'histoire de la vie appelée la Grande Diversification Ordovicienne, ou GOBE (pour Great Ordovician Biodiversification Event).
L'explosion de la vie au Cambrien
Entretien avec Sylvain Charbonnier, professeur du Muséum
Sylvain Charbonnier, vous êtes professeur en Paléontologie au Centre de Recherche en Paléontologie du Muséum national d’Histoire naturelle, et spécialiste des Konservat-Lagerstätten. Pouvez-vous nous dire ce que ces gisements de fossiles exceptionnels, de Burgess au Canada, à Cabrières dans l’Hérault, apportent à la compréhension des premières pages de l’histoire de la vie animale ?
Sylvain Charbonnier : « Ces sites sont des fenêtres ouvertes sur la biodiversité du passé et ils constituent une source privilégiée d’informations sur un large spectre d’interactions biologiques. Le site de Burgess documente une sorte de "Big Bang zoologique", avec l'apparition, en quelques dizaines de millions d'années, de la quasi-totalité des grands plans d'organisation connus actuellement.
Pendant longtemps, les scientifiques ont pensé que cette explosion cambrienne n’avait pas fait long feu et que de nombreux groupes "bizarres" avaient rapidement disparu. Certains pensaient même qu’il s’agissait d’une sorte "d’essai évolutif", sans véritable lendemain pour beaucoup de lignées. Cependant, ces organismes cambriens ne sont pas sortis du néant car des organismes complexes sont connus bien avant le Cambrien.
Ce que l’on a appris assez récemment, c’est que les organismes cambriens n’ont pas brutalement disparu et qu’ils ont évolué pendant des millions d’années. Preuve en est : le nouveau site de Cabrières et les sites du Maroc qui livrent des fossiles appartenant à des groupes que l’on pensait cantonnés au Cambrien. La vie est toujours surprenante ! »
Ce gisement permet-il de confirmer ou d’invalider les hypothèses récentes concernant la diversification du Paléozoïque inférieur ?
S. C. : « Le nouveau site de Cabrières vient confirmer et amplifier ce que les paléontologues soupçonnaient au Maroc : de nombreux organismes que l’on pensait éteints à la fin du Cambrien ont continué à vivre dans les mers froides, alors que la planète se réchauffait et que les continents migraient vers le nord.
Une meilleure connaissance des mers froides de l’hémisphère sud pourrait ainsi permettre de confirmer les théories récentes : la grande diversification de la vie se serait poursuivie entre la fin du Cambrien et le début de l’Ordovicien, notamment grâce à des milieux froids où les espèces moins armées face au réchauffement auraient pu subsister. »
Article rédigé en mars 2024. Remerciements à Sylvain Charbonnier, professeur du Muséum en paléontologie et spécialiste des Konservat-Lagerstätten au CR2P - UMR 7207 et Pierre Guériau, paléontologue à l'Université de Lausanne et co-auteur de l'étude, pour leur relecture et leur contribution.