Le lynx boréal en France, une présence discrète

Une centaine de Lynx courent les forêts de l’Est de la France, dans les Vosges et le Jura. Cette population discrète réapparue dans les années 1970 demeure fragile. Protégé, mais méconnu, ce félin sauvage est menacé par les activités humaines et parfois braconné.

Le lynx présent en Europe est le lynx boréal ou lynx eurasiatique. Sa répartition est la plus large de tous les félins : on le trouve de l’Europe de l’Ouest jusqu’à l’extrême Orient. Pourtant, dès le Moyen-Âge, sa population a régressé puis disparu des pays d’Europe de l’Ouest dont la France.

Une marmotte, sur le GR10, près du col de Portet, non loin de Saint-Lary-Soulan, Hautes-Pyrénées

CC BY-SA 3.0 B. Lieu Song

Victimes de la disparition des forêts européennes

Vivant en forêt, le lynx boréal se nourrit essentiellement d’ongulés (chevreuils, chamois…) et éventuellement de sangliers ou de petits ou moyens mammifères tels des lièvres, marmottes ou renards. Sa chasse, la réduction des forêts et la diminution des proies ont conduit à sa raréfaction puis à sa disparition complète dans de nombreux pays dont la France, entre le XVIIe siècle et le XXe siècle. En France, au Moyen-Âge, il peuplait pourtant toutes les forêts, des Pyrénées au Jura en passant par la Bretagne.

Des lynx rares en France, plus nombreux à l’Est

Des lynx sont réapparus en France dans les années 1970. Réintroduits en Suisse, ils ont franchi la frontière et colonisé le Jura et les Alpes. Des réintroductions ont suivi, en Allemagne, en Slovénie, en Croatie… et en France, dans les Vosges, où 9 femelles et 12 mâles furent réimplantés dans les années 1980 et 1990.

Aujourd’hui, le lynx boréal est inégalement réparti en Europe où l’on estime sa population totale à près de 10 000 individus. Dans les pays scandinaves, les pays baltes et les Carpates, leur nombre est stable, autour de 2 000 individus dans chacune de ces régions. En Russie et en Asie, ils ne sont pas considérés en danger. En revanche, les populations d’Europe de l’Ouest et certaines populations d’Europe de l’Est et d’Asie centrale restent très limitées, de quelques dizaines à 200 individus chacune.

Les lynx victimes de la route

Le lynx est solitaire. Il évolue sur un large territoire, jusqu’à 300 km² pour un mâle qui peut recouvrir celui de deux ou trois femelles. Les populations de petite taille souffrent d’une faible diversité génétique du fait de leur isolement. Elles sont pénalisées par une fragmentation croissante de leur habitat morcelé par les infrastructures humaines (routes, habitations…) et les collisions automobiles, première cause de mortalité de cet animal.

Lynx ibérique

Lynx ibérique (Lynx pardinus)

© iaki - stock.adobe.com

Le Lynx Ibérique, cousin du sud très menacé

Le Lynx Ibérique ou lynx pardelle (Lynx pardinus), espèce vivant exclusivement en Espagne et au Portugal, avait quasiment disparu. Au début des années 2000, il était le félin le plus menacé au monde avec moins de 50 individus. À la suite d'un programme de reproduction en captivité, de réintroduction, de protection d’habitat et de renforcement des populations de ses proies (lapins), sa population est désormais estimée à 1 millier d’individus. Il y a environ 10 000 ans, le Lynx ibérique peuplait jusqu’au Sud de la France.

Un gros chat mal aimé

Contrairement aux grands félins tels que le tigre ou le lion, les félins de plus petite taille comme le lynx ont longtemps été ignorés du public. Parfois, la cohabitation avec ces animaux sauvages est redoutée.

Braconnage

Après les collisions avec les automobiles (58 %) le braconnage est la seconde cause de mortalité du lynx dus aux chasseurs, parfois aux éleveurs. Jusqu’à 70 % des morts sont ainsi imputables aux humains. Les abattages illégaux pourraient être en grande partie responsables de la quasi-disparition du lynx dans les Vosges en 2005.

Lynx des Carpates tapis derrière un rocher.

Lynx des Carpates

© MNHN - F.-G. Grandin

Les chasseurs, une menace importante

Certains chasseurs redoutent la concurrence du lynx sur les ongulés. L’impact du lynx sur la faune, domestique ou sauvage, reste pourtant faible et porte sur des espèces présentées parfois comme en surpopulation (chevreuil, sanglier). Pour sa survie, un lynx tue 50 chevreuils par an. Durant la saison 2020-2021, les chasseurs français en ont prélevé 581 289 selon l’Office Français pour la Biodiversité.

Lynx-éleveurs, une cohabitation compliquée

La réapparition du lynx n’a pas été vue d’un bon œil par tous. Les éleveurs en particulier, craignent pour leurs chèvres ou leurs moutons. De telles prédations se produisent, mais elles restent rares. Le lynx préfère habituellement les proies sauvages. Et s’il attaque un troupeau, il se limite à une seule prise. Le nombre de bêtes tuées par le lynx est limité, car il se nourrit plusieurs jours sur ses proies : de 3 à 7 jours pour les plus grosses. De plus, clôtures électrifiées et chiens de garde tiennent normalement les lynx éloignés.

En France, une protection absolue

Classé « En Danger » dans la Liste rouge française de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), le lynx boréal est une espèce protégée au titre de différents textes internationaux. En France, il bénéficie d’une protection totale depuis 2007 et fait l’objet d’un Plan National d’Action depuis 2022. Il s’agit de réduire les menaces qui pèsent sur cette espèce, en particulier en sensibilisant et en aidant les habitants des régions concernées pour mieux faire accepter sa présence.

La chasse au lynx est interdite dans toute l’Eurasie, sauf en Russie où il est recherché pour sa fourrure ou parfois pour être adopté comme… animal de compagnie.

Accompagner la réintroduction

La protection du lynx passe en partie par une meilleure connaissance de ses habitudes et de ses besoins.

Un élément de la biodiversité

Le retour du lynx contribue au maintien de la biodiversité et à l’équilibre des écosystèmes forestiers. Il diminue parfois la concentration des chevreuils et autres « brouteurs » qui mangent les jeunes pousses ou écorcent les arbres. Ainsi, le lynx participe à la régénération des forêts. La présence de ce superprédateur limite également celle de carnivores plus petits (renards, martres…) ce qui préserve indirectement les proies de ces derniers, qu’elles soient sauvages ou domestiques. Il peut enfin contribuer à éviter la propagation de maladies, par exemple par le renard, vecteur de la rage ou d’un parasite, l’échinococcose alvéolaire, transmissible aux humains.

Protéger les populations de lynx, c'est participer au maintien des écosystèmes. La présence d'un superprédateur est cruciale dans la régulation des systèmes trophiques.

Géraldine Véron, zoologiste, Professeur, responsable scientifique des collections de mammifères au Muséum national d'Histoire naturelle.

Apprendre à le protéger

Le lynx évolue sur des territoires de 150 km² à 300 km² pour un mâle, de 90 km² à 180 km² pour une femelle. En France, il va croiser des routes, particulièrement mortelles pour les juvéniles non habitués aux voitures. Priorité est donc donnée à la préservation de vastes espaces de forêts et à l’installation de passages à faune au-dessus ou en-dessous des voies. Des panneaux de signalisation invitent également les conducteurs à ralentir pour leur céder le passage. Les activités susceptibles de le déranger (travaux, circulation routière, activités de loisirs…) sont aussi à éviter sur son territoire. Source de stress et d’accidents pour l’animal, elles font aussi fuir ses proies et l’oblige à aller chasser toujours plus loin, voire à s’attaquer à des animaux domestiques.

Apprendre à s’en protéger

Pour réconcilier les éleveurs et les lynx, des suivis précis sont réalisés grâce à la pose de balises sur certains animaux, à des pièges photographiques où l’étude des traces qu’ils peuvent laisser (passages, fèces, carcasses de leurs proies…). Connaître ses habitudes de chasse, évaluer le nombre réel de moutons (principalement) ou de chèvres victimes du félin, permet d’estimer la réalité de ses victimes domestiques, existantes mais restreintes. Ces données contribuent à mieux informer et accompagner les éleveurs. Les victimes d’attaques sont indemnisées et l’adoption de mesures de protection est encouragée : chiens de troupeau, clôtures, gardiennage, parcage de nuit…

Retour dans les Vosges

Dans le massif des Vosges, le lynx boréal était en danger critique d’extinction au début des années 2000, car il ne restait plus que quelques individus. Aujourd’hui encore, 80 % des lynx vivent dans le Jura. Le lynx revient peu à peu dans les Vosges, notamment grâce à des réintroductions faites chez les voisins allemands. Le lâcher d'une dizaine de nouveaux lynx, dont des femelles, est programmé pour la fin 2023. Un espoir supplémentaire pour assurer le brassage génétique entre les populations allemandes, françaises et suisses.

Dossier rédigé en juin 2023. Remerciements à Géraldine Véron, Professeur & responsable scientifique des collections de Mammifères au Muséum national d’Histoire naturelle, pour sa relecture et contribution.

    Découvrez Nos dossiers

    Papillon Morpho
    Le papillon Morpho est une curiosité pour les spécialistes de l’évolution, qui cherchent à comprendre comment une telle variété d’espèces a pu émerger sur un même territoire.
    Photo d'un tardigrade
    Les tardigrades sont des animaux résistants à des conditions environnementales extrêmes, de la congélation aux rayons X en passant par l'immersion dans des saumures saturées. Découvrez ces animaux hors du commun.
    Phytoplancton dans le Golfe de Gascogne
    Le phytoplancton est constitué d’une diversité de micro-organismes qui vivent libres dans tous les écosystèmes aquatiques, des océans à la moindre flaque d’eau.