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Pourquoi avons-nous peur de certains animaux ?
Une étude récente s’est intéressée à la peur ressentie envers certains animaux : qui a peur de quels animaux et pourquoi ? On en parle dans cet entretien avec Karl Zeller, écologue-primatologue.
S’il est logique sur le plan évolutif de craindre des animaux dangereux, certaines espèces provoquent une peur disproportionnée alors qu’elles sont inoffensives pour les humains. Les scientifiques parlent de biophobie.
La biophobie est un ensemble d’attitudes, d’émotions et de perceptions négatives envers la nature, la faune et la flore. Elle affecte la santé humaine et menace la conservation de la biodiversité.
Comment avez-vous procédé pour analyser la réaction des individus face à certains animaux ?
Nous avons élaboré un questionnaire basé sur des paires de photos d’animaux. Les participants devaient choisir l’animal qui leur faisait le plus peur, cliquer dessus et passer à la paire suivante. En tout, il y avait 184 espèces : des mammifères, des reptiles, des amphibiens, des arthropodes etc… Nous avons pu analyser leur choix et classer les animaux du plus au moins effrayant.
Ensuite, ils devaient répondre à quelques questions qui pouvaient nous permettre de lier leur sentiment de peur à des facteurs sociodémographiques. Enfin, il y avait des questions plus spécifiques pour caractériser leur crainte, voir si elle était rationnelle ou non.
Nous avons ainsi sondé plus de 17 000 participants à travers le monde et analysé plus de 400 000 paires d’animaux.
Quelles sont les espèces animales les plus redoutées par les humains ?
Dans notre étude, on voit que les animaux qui font le plus peur sont réellement dangereux. Celui qui arrive en haut de la liste est le crocodile marin, mais les grands félins et les serpents venimeux sont aussi perçus comme très effrayants : des participants ont clairement exprimé leur crainte d’être tués par une vipère du Gabon ou mangé par un tigre. D’un point de vue évolutif, c’est assez logique puisque de nombreux cas de prédation, d’attaques ou de morsures impliquant ces animaux ont été documentées à travers le monde.
Mais on voit aussi qu’il y a des animaux dangereux qui ne génèrent aucune crainte et, inversement, des animaux considérés comme inoffensifs, comme les chauves-souris ou encore les araignées ou serpents non venimeux, qui sont pourtant redoutés. Ces espèces provoquent des réactions de peur très marquées, encore plus que pour l’ours brun ou l’hippopotame. Dans ce cas-là, l’explication rationnelle, évolutive, ne suffit pas.
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Léopard ou Panthère (Panthera pardus)
© stuporter - stock.adobe.com
Vipère du Gabon (Bitis rhinoceros)
© MNHN - F.-G. GrandinQu’est-ce qui peut expliquer la crainte ressentie envers certains animaux ? Quelles peuvent être les origines de ces peurs ?
Il peut y avoir des facteurs socioculturels. On ne va pas avoir le même ressenti selon l’environnement dans lequel on vit. Il y a des personnes qui ont de véritables phobies pour certains animaux. Une phobie, c’est un trouble de l’anxiété, une peur exacerbée, irrationnelle et invalidante. Les personnes phobiques peuvent s’évanouir ou faire des crises de panique face à ce qu’elles craignent le plus. Mais cette peur n’est pas uniquement liée à l’animal, elle est aussi liée à notre environnement : plus on s’éloigne de la nature, plus on se sent stressé et mal à l’aise avec certains animaux. C'est ce que des scientifiques ont appelé la biophobie.
Le décalage entre le danger perçu et la réalité écologique est plus fort dans les sociétés urbanisées et il est amplifié par les médias. La manière dont certaines espèces sont représentées dans des œuvres de fiction peut en effet avoir un impact sur notre ressenti et notre façon de les percevoir. Il y a des animaux qui sont perçus comme mignons, charismatiques, horribles ou dégoûtants parce que qu’ils sont représentés comme tels. Cela alimente des idées reçues qui biaisent notre perception.
On peut prendre un exemple bien connu, celui du requin. Dans les œuvres comme Sous la Seine, En eaux troubles etc…, il s’apparente plus à un monstre mangeur d’humains qu’à un vrai requin. Or, dans les faits, on a plus de chance d’être tué par la foudre que par un requin1.
Les araignées aussi sont un bon exemple. Dans un des films de la saga Harry Potter, elles sont surdimensionnées et prêtes à dévorer le héros et son meilleur ami. Pour les enfants, c’est normal que cela fasse peur. Des personnes croient à tort qu’elles tuent fréquemment les humains alors que les accidents graves sont rarissimes et les décès vraiment exceptionnels. Seules 0,5 % des araignées sont potentiellement dangereuses pour les humains, mais le sentiment général de dégoût, les idées reçues et le manque de connaissances naturalistes alimentent les légendes et exacerbent les craintes.
Certaines théories, très en vogue depuis 15 ans, véhiculent aussi l’idée que la peur des serpents ou des araignées serait codée dans nos gènes, qu’elle serait innée et biologique. Mais comment la sélection naturelle aurait-elle pu produire un résultat aussi illogique ? L’idée que le serpent fait partie de nos peurs ancestrales est très ancré. Mais c’est surtout dans la culture chrétienne qu’il est une figure repoussoir. Ce n’est pas vraiment le cas dans d’autres cultures où il est déifié et lié à la fertilité, et puis c’est aussi le symbole de la médecine.
Concernant les animaux réellement dangereux, il est actuellement difficile de connaître la part de mécanismes innés et la part d’acquis. Les approches uniquement biologiques ou, à l’inverse, purement culturelles, ne correspondent pas à une réalité qui semble plus complexe.
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Requin en Polynésie française
© Tropicalens - stock.adobe.com
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CC-BY-NC Kamil HurnaQuelles sont les conséquences de la biophobie ?
La biophobie est une forme d’anxiété. Elle a un impact sur nous et les animaux puisque le sentiment de crainte provoque un désir de nuire à cette biodiversité. Des tests comparatifs menés sur le bord d’une route ont montré qu’un serpent factice avait plus de chance d’être écrasé par une voiture qu’une tortue en plastique.
Quand on en vient à utiliser des insecticides dans son jardin, cela peut aussi avoir des conséquences sur notre santé. De fait, moins on apprécie cette biodiversité et moins on a envie de la protéger. La biophobie a un réel impact sur la conservation des animaux : il y a plus de moyens déployés pour les espèces qui bénéficient d’un fort capital sympathie. Dans le cas contraire, soit ils nous indiffèrent, soit on va avoir envie de les détruire.
On peut reprendre l’exemple du requin qui est perçu comme éminemment dangereux pour les humains, alors que c’est plutôt l’inverse : d’après la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 60 % des requins pélagiques sont en danger d’extinction à cause de la pêche excessive, et un tiers des espèces de requin sont menacées de disparition. Mais on n’a pas cette image de nous-mêmes comme étant des prédateurs potentiellement dangereux. Pourtant, dans leur milieu, les antilopes fuient instinctivement lorsqu’elles entendent des cris humains. Les serpents, les chats sauvages etc. ont aussi peur de nous.
Comment réguler la biophobie ?
En moyenne, les phobies se développent aux alentours de 8 ans. Encourager les enfants à développer leur curiosité pour les animaux serait plus simple et moins coûteux qu’investir dans une thérapie à l'âge adulte. En effet, des études montrent bien que les enfants se prennent d’affection pour les serpents et les araignées en une seule sortie de terrain. Avec l’âge, on perd ce goût pour la découverte de la biodiversité. L’observation d’animaux mal-aimés et craints pourrait à la fois améliorer le bien-être humain et les efforts de conservation. Il est fondamental d’élargir les actions de sensibilisation à toutes les espèces. Mieux comprendre nos peurs et nos perceptions nous permettrait de construire une relation plus saine avec la biodiversité.
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Relecture scientifique

Karl Zeller
Écologue-primatologue, chercheur associé au Muséum national d'Histoire naturelle (UMR 7206 - Éco-anthropologie (EA))
Références scientifiques
Karl Zeller a , Nicolas Mouquet b,c, Cécile Garcia a , Guillaume Dezecache d,e, Audrey Maille a,f, Julie Duboscqa , Luca Morino g , Xavier Bonnet h Danger versus fear: a key to understanding biophobia, People and Nature (2025). DOI : https://doi.org/10.1002/pan3.70009
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Selon l’International Shark Attack File, il y a 1 risque sur 4,3 millions de se faire tuer par un requin alors que le risque de se faire tuer par la foudre est plus élevé : 1 sur 80 000.
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