Mieux connaître le sol permettrait de soigner des maladies
En mars 2025 est paru dans Nature un article caractérisant un nouvel antibiotique, la lariocidine. L'histoire de sa découverte soulève un sujet majeur, celui de la méconnaissance des microbes du sol. Pour autant, les microbes sont partout et offrent des ressources inespérées, notamment pour la santé. Entretien avec Marc-André Selosse, biologiste au Muséum national d’Histoire naturelle.

Illustration 3D de Penicillium notatum
© Dr_Microbe - stock.adobe.comPouvez-vous revenir sur la découverte récente d’une espèce appartenant au genre Paenibacillus menant à la caractérisation d'un nouvel antibiotique ?
En effet, en analysant des échantillons de terre issus d’un jardin (dont certaines bactéries ont été cultivées au laboratoire ensuite), des chercheurs ont découvert cette année un nouvel antibiotique prometteur, la lariocidine. Il est efficace contre un large éventail de bactéries pathogènes et les premières études indiquent qu'elle n'est pas toxique pour les cellules humaines. C’est un espoir pour le traitement des infections bactériennes devenues résistantes aux anciens antibiotiques.
Il faut savoir que l’utilisation des antibiotiques actuels a progressivement sélectionné les bactéries possédant une mutation les rendant résistantes au traitement. Ces gènes de résistance circulent entre bactéries, tant et si bien que certaines cumulent des résistances à presque tous les antibiotiques connus ! Chaque année, 700 000 personnes, dont 4 000 en France, meurent à cause de ce genre de bactéries, faute d’avoir trouvé à temps un antibiotique tuant les bactéries impliquées… On estime qu’en 2050, elles tueront 10 à 60 millions de personnes chaque année.
Il est donc urgent de chercher de nouveaux antibiotiques : or, ces molécules sont issues des substances par lesquelles les microbes font la guerre entre eux. Grâce aux antibiotiques, ils éliminent leurs compétiteurs et c’est pour cette raison qu’ils les produisent. Nous ne faisons que les copier… Le premier antibiotique, la pénicilline, a été découvert par Alexander Fleming, en 1928, sur le champignon Penicillium notatum. Le premier commercialisé, la tyrothricine, a été isolé en 1939 de la bactérie Bacillus brevis par le français René Dubos. Récemment, un antibiotique prometteur contre la maladie de Lyme, l’hygromycine A, a été isolé d’une bactérie du sol, Streptomyces hygroscopicus.
En somme, certains microbes nous rendent malades mais d’autres peuvent nous soigner ! Il est donc impératif de mieux les connaître pour résoudre ces problèmes de santé humaine.
Les microbes, alliés de la santé de notre planète
Avons-nous une méconnaissance des microbes qui nous entourent, et notamment ceux du sol ?
Une mauvaise lecture des travaux de Pasteur, qui avait montré que bien des maladies étaient liées à des microbes pathogènes, est de tous les considérer comme systématiquement mauvais. Pasteur, lui, chimiste de formation, avait découvert les microbes en étudiant la fermentation alcoolique et il savait qu’ils pouvaient être utiles ! Ajoutez à cette méconnaissance le fait qu’on ne les voit pas : votre peau en porte 1 000 milliards mais vous ne les voyez guère. Tout au plus, vous les sentez (mauvais) s’ils se multiplient trop… Mauvaise réputation, invisibilité : peu d’efforts de recherche et au bilan, tant d’opportunités manquées alors qu’ils peuvent nous être très utiles…
Dans les sols, ils attaquent les roches et la matière organique morte, produisant les molécules (nitrate, phosphate, etc.) et les éléments (magnésium, potassium, oligoéléments, etc.) qui nourrissent les plantes. Leurs activités ou les vides laissés à leur mort font les petits trous qui retiennent l’eau et permettent qu’entre deux pluies, il y ait de l’eau disponible dans nos écosystèmes. Des champignons associés aux racines des plantes, les mycorhiziens qu’étudient mon équipe au Muséum, collectent ces ressources (eaux et sels minéraux) et les acheminent aux racines, en échange de sucre. Les microbes sont partout et aident nos écosystèmes !
Un gramme de sol contient plusieurs milliers d’espèces de bactérie et un millier d’espèces de champignon : au total, ce gramme représente des dizaines de millions de gènes et de fonctions. Ces dernières fabriquent les sols et leur fertilité, mais constituent aussi une formidable réserve ressource pour notre industrie ou notre santé.
Qu’est-ce qu’un champignon ?

Microbiotes - Muséum national d’Histoire naturelle
© MNHN - J.-P. LopezComment les microbes peuvent-ils être des solutions face aux enjeux de santé ?
D’abord, ce sont, nous l’avons vu, des réservoirs de molécules curatives. Et pas seulement antibiotiques : la ciclosporine, par exemple, qui empêche les rejets de greffe et les statines qui limitent les cholestérolémies proviennent de microbes !
Par ailleurs, dans notre microbiote (ces microbes qui peuplent notre peau et notre tube digestif), la diversité microbienne est un facteur de protection. Elle protège des maladies de la modernité qui affectent le métabolisme (diabète, obésité), le système immunitaire (asthme, allergies, maladies auto-immunes) ou le système nerveux (autisme, Parkinson, Alzheimer…) : les causes de ces maladies sont diverses, mais des microbiotes trop peu diversifiés y prédisposent. Deux perspectives pour entretenir la diversité de ces microbiotes s’offrent à nous. D’une part, il faut éviter les produits riches en émulsifiants et en conservateurs (qu’on impose à notre peau et à notre tube digestif et qui nuisent à nos microbes). D’autre part, il faut manger des aliments riches en fibres car ces molécules améliorent la qualité et la diversité du microbiote qui s’en nourrit. Hélas, on ne mange que 50 % de la ration recommandée : il faudrait 5 fruits ou légumes par jour, vous dit-on !
Enfin, les microbes qui vivent sur les plantes les protègent des maladies, mais les traitements pesticides les éliminent et rendent la plante davantage dépendante de ces derniers… Par ailleurs, les résidus des pesticides nous contaminent par les aliments et l’eau potable. Des méthodes comme l’agriculture biologique s’appuient mieux sur ces protections microbiennes et sont bien meilleures pour notre santé. Semblablement, les champignons des racines des plantes peuvent réduire l’usage des engrais minéraux, dont le phosphate est contaminé par du cadmium, un métal très dangereux pour la santé humaine, et les fuites de ces engrais dans les eaux douces et littorales provoquent des proliférations toxiques d’algues. Des agricultures réduisant le labour et semant des plantes en hiver entretiennent mieux ces microbes et notamment les champignons mycorhiziens alliés des racines.
Des recherches sont en cours – dans plusieurs équipes du Muséum, dont la mienne en particulier – pour mieux mobiliser, demain, les microbes dans la santé des hommes et celle des plantes : c’est un savoir-faire à développer.
Quelles découvertes autour de microbes pourraient avoir un impact dans notre quotidien ?
Difficile de prédire l’inconnu qu’explore la science… Mais avec une meilleure connaissance de la façon dont le microbiote aide notre organisme à fonctionner, en comprenant comment ou par quelles molécule les microbes agissent sur nous, on pourra sans doute contribuer à remédier aux maladies de la modernité évoquées plus haut. Au-delà de leurs molécules curatives, la connaissance des microbes des sols nous promet aussi de mieux envisager avec quels gestes gérer la production agricole pour s’appuyer au mieux sur eux, et pour limiter engrais minéraux et pesticides. Enfin, les microbes des végétaux sont à la fois une façon de mieux protéger les plantes et de les conserver après récolte, pour éviter que ne se développent sur eux des microbes indésirables : ne souriez pas, c’est déjà leur rôle dans les aliments fermentés ! Mais on sait encore mal utiliser les microbes à cette fin. Actuellement, on préfère stériliser les aliments, alors que cela les rend… plus faciles à coloniser pour les indésirables.
Il y a plus à attendre d’un monde peu exploré comme celui des microbes, que de surinvestir dans l’exploration de groupes déjà connus, plantes ou animaux : il faut rééquilibrer nos efforts de recherche et, sans baisser notre garde face aux microbes dangereux, trouver ceux qui pourront nous sauver demain.
Entretien avec

Marc-André Selosse
Biologiste spécialiste en botanique et mycologie, et professeur du Muséum national d’Histoire naturelle
Référence scientifique
Jangra, M., Travin, D.Y., Aleksandrova, E.V. et al. A broad-spectrum lasso peptide antibiotic targeting the bacterial ribosome. Nature (2025). https://doi.org/10.1038/s41586-025-08723-7
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Convier l'humanité dans l'histoire naturelle
- Auteur : Marc-André Selosse
- Illustrations : Arnaud Rafaelian
- Mars 2024
- Actes Sud
- 14 x 20.5 cm
- 448 pages